8.12.07

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Salut Jean !
J’avais écrit mon texte à la main parce que je n’ai plus d’ordinateur depuis un moment mais j’ai perdu le papier, il y a deux jours donc je suis obligé de tout réécrire. Rien dans cette vie est par hasard donc heureusement je me retrouve dans une situation ou je dois revisiter mes idées et reformuler ma pensée. Encore une fois, heureusement ! car je me sens plus clair et plus sur par rapport au jose de la lettre.
En fin. Je te racontais un peu mes difficultés dans cette année. J’avais perçu, comme on avait parlé dans la première session P LOT, que mon travail prenait deux axes et que je n’arrivais pas à bien me placer face à eux. J’étais perdu en essayant de lier ces deux univers quand, peut-être, ils sont deux choses complètement parallèles et que ne peuvent pas forcément s’articuler. En tout cas, pas dans le contexte actuel.
La question du point de vue était déjà visitée par plusieurs artistes depuis tant d’années et ils ont bien réussi dans ces recherches et dans leur produit final que je ne voulais pas continuer. Le geste, même répété, reste vierge, mais j’avais l’impression de ne pas découvrir des choses nouvelles ni excitantes. Surtout que je trouve ce travail des carrées trop fixe. De l’autre coté, l’atelier méta m’a permis de reformuler différents aspects sur le statut de l’artiste et de l’oeuvre d’art que je trouve nécessaires et qui vont ensemble à mes réflexions quotidiennes. On peut dire que mon esprit trouve une ouverture complète quand je rentre dans l’expérimentation des choses et des situations. Mon esprit, il se déploie du moment que je touche d’autres domaines d’action. Et c’est ça ma recherche personnelle, réinventer le public et les espaces d’actions. En plus, je sens que je dois revendiquer ma place dans la société, dans un monde qui a besoin de médiateurs plutôt que d’artistes.
Depuis petit j’ai fait de la peinture. Quand j’ai quitté le Pérou pour aller à Cuba, je suis partie avec le désir de ne pas limiter mon travail sur la surface du tableau. Je voulais « peindre le monde » pas seulement qu’avec des pinceaux. Et a Cuba, à cause du régime, j’ai commencé à me débrouiller pour travailler avec n’importe quel matériel qu’on trouvait dans la rue. Une prise de conscience sur la pauvreté et sur le fait de créer avec peu. Pas besoin d’achats ni de dépenser de l’argent pour créer. C’est une économie riche des moyens pour une amélioration créative. C’est prouvé de toute façon, que c’est face à l’adversité qu’on devient plus sensibles à l’invention. À mon arrivée en France, j’ai voulu faire « parler » mes pièces. C’est l’observateur qui active l’ouvre, bien entendu, et c’est lui qui rentre en dialogue avec la pièce aussi. Je me demande, quel dialogue peut-il y avoir entre un tableau et le spectateur ? Ok, il y a du sens qui se transmit, que circule oui, mais est-ce que le tableau, après avoir été émetteur peut-il devenir récepteur ? À cet instant, il n’y a pas un vrai dialogue alors. Je pense que le spectateur doit devenir aussi émetteur en « rentrant » dans la pièce, en ayant un contact plus proche, plus engagé. Donc pour moi, l’art est en mouvement et participatif. La relation œuvre-public doit s’effectuer en continu et en boucle si nécessaire. On se trouve dans une logique de travail loin de l’objet fixe, de l’objet fini. Car tout dans la vie est en mouvement constant. Le flux, on ne peut pas l’arrêter. Je reviens au tableau. Si c’est moi qui active l’œuvre d’art, avec ma partie psychique, rationnelle, sensorielle, etc., un jour, j’aurai une telle interprétation de l’œuvre et un autre jour une autre interprétation. Comme moi je change, je ne suis plus celui d’hier ni je ne serai plus celui d’aujourd’hui. Pourquoi l’oeuvre doit rester fixe et sans mutation possible ?
Ce qui m’interroge ici c’est aussi le fait de produire et produire sans arrêt. On est dans une époque où la production des oeuvres est de tel magnitude qu’on passe vite à oublier l’important et l’on devient producteurs-archiveurs de ce qu’on aime faire. Moi je préfère dé produire. En plus, pour organiser il faut d’abord désorganiser et pour construire il faut d’abord détruire. C’est comme les définitions qui enferment le récit ou l’expérience dont on peut vivre d’un fait. Je fais beaucoup d’attention quand je veux dire, je t’aime ou quand je veux dire c’est beau. Je ne rigole pas. Et je ne trouve pas logique, comment un sentiment si forte je pourrais l’exprimer avec un seul mot. Comment tout un ensemble de sentiments et des émotions viennent s’enfermer dans un seul mot, et qu’en plus, on prononce si banalement. Mon idée c’est plutôt de REINDEFINIR le monde au lieu de le redéfinir. Pour ça l’expérience on doit la partager, ou la faire revivre car, avec des mots, c’est presque impossible reconstituer un fait. Pour cela, pas de points finals dans un texte ni de conclusions dans une discution car on enferme le récit et il est éternel. Pour ça aussi, mon refus de plus en plus accentué sur la trace dans mon travail. Un art sans signature viendrait bien aussi. L’art, il doit se rendre équitable à tous et il peut se faire pour tous aussi.
Et c’est dans ce contexte que je décide de travailler et prendre la rue comme atelier. Sous l’envie de couper tout limites entre grand public et mon travail. Et oui, l’espace urbain avec toutes ces forces, peut donner vie à mon travail !
Mais non, le fait de se placer dans la rue n’assure pas l’interaction ni la participation que je cherchais. J’ai trouvé là aussi, des difficultés pour la prise de conscience générale.
Il me reste être radical. Il convient de renoncer à l’art si celui-ci est un exercice privilégié et détaché de la vie. Cependant, dé produire peut poser des problèmes dans une institution qui nous demande ça. A vrai dire, c’est que je cherche c’est de m’éloigner de la fabrication d’objets d’art pour passer à la création d’un contexte, d’un événement ou d’une expérience. Dans mes propositions futures, rien aura reçu une forme. Pour le contraire, tout commence à peine se former. Si tu veux, c’est le temps, le lieu, la pensé commune, les corps et le langage qui prendront forme des instruments et matériaux. Pas plus de productions matérielles de l’art de l’artiste sinon une production mentale et immatérielle des spectateurs. Une co-production. Je veux mettre l’accent sur ce point. C’est la collectivité qui va nourrir la proposition, qui va construire « l’œuvre » à partir de l’action en sachant que l’action sera la forme de « l’œuvre ».
Car chaque être humain à ces propres facultés créatrices j’invite toute le monde à participer. Nos aptitudes et nos incapacités vont jouer le rôle créatif, en mouvement, dont le mode d’existence est factuel, événementiel.