26.3.08

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de la gratuité:
la culture de la gratuité est associée a l'envers du marché, à un mode alternatif de penser les échanges.
dans mon esprit et espoir, s'il y a un truc qui peut empêcher le système capitaliste de tout absorber, ça doit être la gratuité. on peut l'imaginer comme un spectre qui hante ce système, pouvant devenir une norme au lieu d'une anomalie.
et pour ça il faut souligner l'importance du don.
avec internet, un nouveau marché se développe, avec l'échange des fichiers, avec des logiciels gratuits, avec le streaming, avec la numérisation au fait. mais dans ce monde immatériel bien sûr que ça peut marcher.
maintenant il faut l'appliquer dans le réel, dans notre monde matériel. et déjà il faut rendre la valeur des choses à zéro aussi. il faudrait annuler la monnaie et s'éloigner de l'idée monétaire du monde.
est-il possible?
je teste.

de la proposition meta:
alors, mon idée c'était d'offrir aux gens des billets pour aller voir une pièce théâtrale.
dans un premier temps, je voulais détourner la fonctionnalité d'un budget artistique pour faire des dons. donc une somme d'argent dont j'avais droit à toucher n'a pas trouve sa finalité imaginaire primaire, celle d'acheter des matériaux. par contre elle m'a permis d'acheter 5 billets pour ensuite pouvoir les offrir aux gens.
l'autre but, simple, m'approcher aux gens en nous donnant le temps pour dialoguer, pour échanger du vécu.
j'ai parlé au début du net. dans le net, c'est facile de trouver des forums de chats ou les gens se concentrent pour y se rencontrer. mais dans la rue ça n’arrive presque jamais, d'aller a la rencontre d'un inconnu et de parler des sujets essentiels.
on dirait que le web élimine tout coûte, tout effort pour accéder aux choses.
comment pouvoir mélanger des individus qui ne se connaissent pas autour des questions sur l'existence?
je teste aussi.

de la première rencontre, dans une avenue de cavaillon:
bonjour madame!
-bonjour (dubitative)
est-ce que je pourrais discuter avec vous pour quelques minutes?
-ouais...
au fait je me demandais pourquoi est-il difficile d'aller a la rencontre d'un inconnu?
-oui, oui
de pouvoir s'arrêter, comme nous en ce moment, et discuter tranquillement et se connaître.
-eh bien, vous savez, il y a beaucoup du mal dans la rue
et pourquoi vous croyez ça?
-je ne sais pas, mais on doit se méfier. vous savez? l'autre jour, le mari de ma soeur a pris un stoppeur, qui a sorti une arme.
nooon!!
-et oui, il était hollandais en plus. ils se sont arrêtés dans un magasin et il a sorti son arme pour voler le magasin!!
incroyable!
-après la police est venu en faisant des problèmes à mon beau-frère, mais finalement il ne connaissait pas le hollandais. il a voulu juste lui aider en lui prenant, mais il a pu la payer cher!
et vous prenez de gens qui font du stop?
-ahh non! même pas si je suis avec mon mari.
et vous l'avez faites avant, dans votre jeunesse?
-non plus.
on peut dire que notre système économique a changé nos rapports sociaux?
-je pense oui.
par exemple, le problème de la migration, est-ce qu'elle a répercuté sur le fait d'avoir peu de confiance chez l'autre?
-malheureusement oui. mais dans mon quartier il y a des gens d'autres pays mais ils y ne font pas de problèmes. ils ne sont pas tous méchants.
bon madame, pour vous remercier de ce moment, j'aimerais vous offrir un ticket pour aller au théâtre.
-ahh non, je ne peux pas!
oui madame, je vous l'offre, sans attendre rien en échange. c'est déjà payé.
-non, je ne peux pas. mon mari souffre d'une maladie grave... le cancer, vous savez! et demain matin, on part à la campagne.
dommage!
-oui, on a une maison à la campagne et la il retrouve une tranquillité pour affronter sa maladie.
oui bien sûr, je comprends.
-c'est dommage, mais je ne peux pas.
bon, en tout cas merci pour s'avoir arrêté.
-non, merci à vous.
bonne soirée!
-bonne soirée à vous!

de la deuxième rencontre, dans la cafétéria de la scène nationale de cavaillon:

monsieur bonjour, est-ce que je pourrais m'asseoir avec vous?
-oui bien sûr.
vous êtes venu voir quelque chose en spécial?
-je suis venu voir un ami.
vous vous appelez comment?
-++++++
je suis jose, enchanté!
-enchanté aussi
bon, vous savez... toute à l'heure, j’étais dans la rue en essayant de discuter avec les gens et c'est tellement dur. pourquoi vous croyez que c'est difficile s'approcher aux gens qu'on ne connaît pas?
-effectivement, il y a plusieurs facteurs je pense mais déjà, vous venez d'où?
je suis péruvien.
-je pense que, dans votre culture, le rapport a l'autre change aussi.
oui, mais ici, même si je me sens très sociable ou avec une facilité pour aller rencontrer des gens, dans la rue toute à l'heure, c'était difficile.
-vous savez, les gens ils se méfient beaucoup maintenant.
pour plusieurs, c'est plus normal parler dans les forums de chat sur le net que de parler dans la rue. on dirait que, derrière un écran, les gens se sentent plus surs.
-effectivement... excuse-moi, mon ami est là. je reviens...
(il est jamais revenu)

de la troisième rencontre, dans le théâtre de la scène nationale de cavaillon:
monsieur bonjour!
-bonjour
permettez-moi me présenter, je suis jose
-enchanté, je suis ++++++
vous êtes venu voir les protocoles meta?
-non, je suis venu acheter des tickets et j'ai vu qu'il y avait antonio negri donc je suis resté pour voir tout ça.
vous lui connaissez par votre travail? ou seulement intérêt personnel?
-je suis sociologue donc j'ai lu des choses sur lui.
et vous avez déjà visité les différents dispositifs?
-pas tout mais je suis surpris, oui!
est-ce que je peux vous proposer quelque chose?
-oui
alors, juste parler avec vous sur le fait que les personnes ne se parlent pas trop. je me demande le pourquoi. pourquoi pour plusieurs c'est facile d'aller dans les forums de chat et rencontrer des gens. vous ne trouvez pas ça bizarre?
-oui, vous avez raison.
et dans la rue, personne se parle par exemple. personne ne s'arrête un moment pour parler de n'importe quoi avec un inconnu.
-c'est vrai ça.
moi je trouve que notre contexte a dévalorisé la façon de s'approcher aux gens. je parle du contexte économique et notamment le système implante, le capitaliste. il y a tellement du décalage ou d'écart entre les classes que les gens se méfient de tout, surtout de celui qui n’appartient pas à sa classe socio-économique.
-et vous faites quoi?
je suis étudiant en arts plastiques.
-vous présentez quelque chose ici?
une situation de partage. je suis plus intéressé à la corrélation directe avec les gens. et là, j'aimerais vous offrir un ticket pour aller au théâtre.
-ah merci, c'est très gentil. mais pourquoi vous faites ça?
je vous ai parlé sur le système économique. je pense que la gratuite c'est une façon d'inverser ce système. donner sans attendre quelque soit. en offrant des choses, j'élimine la valeur monétaire que reine dans le système.
-et c'est pour quand le spectacle? car je pars faire de la randonné avec ma famille bien tôt.
ça sera pour ce lundi.
-ah, ca va alors. c'est très sympathique de votre part. merci beaucoup.
ben, de rien monsieur. merci a vous! bonne soirée!
-à vous aussi.

de la quatrième rencontre, dans la cafétéria de la scène nationale de cavaillon:
-je peux m'asseoir avec vous?
bien sûr madame! tenez une chaise
-merci
vous avez déjà mange?
-oui merci. c'était bon.
ahh oui! c'était le village qui a fait le repas, vous connaissez?
-oui, je connais.
vous vous appelez comment?
-++++++++
moi je suis jose, enchanté
-enchantée!
vous étiez dans la conférence madame?
-oui, je suis venue express pour ça. je participe souvent aux activités de la scène nationale.
vous habitez ou?
-à l'île sur sorgue.
ah c'est bien! et vous vous intéressez par des activités artistiques?
-oui bien sûr. quand étais jeune étais chorégraphe.
ahh, génial!
-mais maintenant je ne peux plus le faire. je me repose maintenant, mais ça me plaît de suivre les différentes activités qui se font.
carrément. je suis étudiant en arts plastiques. on peut dire que je fais de la performance et, dans mes recherches, j'ai trouvé beaucoup des références qui viennent du domaine de la danse. dès qu'on travaille avec le corps c'est comme ça.
-oui, tout à fait. vous avez présenté quelque chose aujourd'hui ?.
pas vraiment. j’étais dans la recherche des gens pour pouvoir discuter avec eux, de façon qu'on puisse se connaître. c'était dur.
-ici dans le théâtre?
ici et dans la rue. j'ai trouvé que les gens ont peur de parler avec un inconnu. vous ne trouvez pas que les rapports sociaux se sont dévalorisés?
-je pense, oui. on a peur à se reprocher de l'autre. et comment vous êtes venu en france?
bon, depuis 8 ans que je voyage. d'abord j’étais à cuba pour étudier les arts aussi. là-bas j'ai rencontré une française qui m'a aidée pour venir ici. je parlais le français déjà donc je suis venu.
-et vous aimez la france?
oui, mais pas toute à fait aix en provence, ou j'habitais au début. c'est une ville étrange.
-je ne connais pas. je n'ai jamais passé par là. je sais que c'est une jolie ville.
oui, effectivement mais je n’aime pas l'ambiance. maintenant j'habite à marseille, ou le contact avec l'autre se produit plus souvent justement.
-et vous contez rester en france?
je ne sais pas. déjà finir mes études et puis rester deux ans en europe pour faire des résidences. mon envie se de rentrer chez moi avec un travail plus mûr et avec un bon réseau des contacts pour pouvoir faire des projets là-bas.
et vous madame? vous connaissez l'amérique latine?
-pas vraiment. je suis partie qu'en europe. en ce moment je vais souvent à paris car ma fille habite là-bas. elle fait de la danse aussi.
ahh, comme vous!
-un peu, oui!
bon madame, pour ce moment de dialogue qu'on a eu, j'aimerais vous offrir un ticket pour un spectacle de théâtre. ici même, le lundi soir.
-ohh merci!
c'est un aspect de réflexion de mon travail aussi, sur la gratuite des choses. j'aimerais annuler tout transaction monétaire ou en tout cas l'explorer, la détourner pour en réfléchir sur elle.
-c'est intéressant!
donc tenez, vous êtes invite de ma part.
-merci beaucoup. vous êtes très gentil. je dois vous informer après?
ahh, si vous voulez, pourquoi pas! je vous donne mon mail et vous pouvez m'écrire si vous aurez envie de partager vos sensations après le spectacle. tenez!
-merci merci. je vous souhaite une bonne soirée. je vais voir dedans le théâtre, un nouveau tour.
ok madame, merci à vous et à bien tôt.

de l'avant dernière rencontre, dans un lidl de cavaillon:
monsieur bonjour
-bonjour
est-ce que je pourrais vous offrir quelque chose?
-ouais... (dubitatif)
je suis étudiant ici et j'ai une réflexion autour de la rencontre, sur le fait que personnes qui ne se connaissent pas ont du mal pour s'approcher, sur le pourquoi de ça.
et aussi sur la gratuite des choses, sur le don entre deux personnes qui ne se connaissent pas.
(silence de sa part)
ça vous paraît bizarre?
-oui, c'est rare de recevoir des cadeaux.
on est dans un système où faire des cadeaux sans rien attendre c’est rare.
-effectivement
bon, j’aimerais vous donner une entrée au théâtre.
-ah non, désolé mais je n’aime pas le théâtre.
vous ne devez rien payer
-oui mais nous on n’aime pas le théâtre (sa femme pendant tout ce temps-ci était un peu éloignée)
et pourquoi ? Vous travaillez de nuit peut-être ? Vous n’avez pas le temps ?
-je ne sais pas, mais on n’y va pas donc je préfère que vous offriez ce billet a quelqu’un qui aime le théâtre.
ok, bon, merci
-merci

de la dernière rencontre, dans un lidl de cavaillon:

bonjour monsieur, excuse-moi
-oui ?
est-ce que vous aimez le théâtre ?
-ahh oui, beaucoup !
parce que j’aimerais vous offrir quelque chose. en fait je réfléchis sur le fait que, dans notre contexte, c’est difficile d’établir une conversation avec un inconnu.
-oui, effectivement !
les gens ont peur si quelqu’un vient les parler.
-ah oui, tout à fait.
on peut dire que notre système économique a fait une influence sur les rapports sociaux ?
-je pense que oui, les gens se sentent en insécurité.
et se faire des cadeaux aussi c’est rare, non ?
-je ne sais pas. Vous savez ? Avec mes amis, on a un système de troque et on se fait plaisir avec ça.
oui, mais recevoir des cadeaux de la part des inconnus.
-ahh oui, ça ce n’est pas fréquent.
voilà, on est très méfiants de l’autre.
-moi, j’étais médecin. maintenant je suis à la retraite. mais avant j'ai aide des gens des différents nivaux.
c'est bien ça.
-mais je pense, en vous regardant, que vous avez senti quelque chose d'abord en moi, pour venir me parler.
peut-être.
-donc ce n’était pas difficile. peut-être avec d'autres personnes mais pas avec moi. vous venez d'où?
du pérou
-vous parlez vraiment bien le français. je connais des gens qui sortent du lycée, des écoles et qui ne parlent pas comme vous. depuis quand vous parlez le français?
depuis petit, quand j'avais 6 ans. puis j'ai habité avec des françaises. j'ai eu une copine française aussi, avant de venir ici.
bon, donc, je vous offre ce billet, pour lundi soir. vous arrivez, vous prenez une place et voilà. cette pièce était conçue après des discussions avec des gens d'une cite, autour les problèmes familiaux. pour moi, vous offrir quelque chose c'est vu comme un inverse au système économique ou on habite, au système d'achat et le faire ici, dans un magasin, ou on vient que pour acheter des produits, je trouve bien et nécessaire.
-en tout cas c'est très gratifiant des rencontres comme ça. vous avez amélioré ma journée. ça arrive rarement. merci beaucoup. c'est émouvant!
merci a vous monsieur. bonne soirée!

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